Noël-Yves Tonnerre,
Une grande figure intellectuelle italienne : Giuseppe Galasso
Texte intégral
Éloge de Giuseppe Galasso :
1Giuseppe Galasso est mort à l’âge de quatre vingt huit ans, le 12 février 2018 dans sa maison de Pouzzoles, au bord du golfe de Naples, des suites d’une grippe qui l’avait beaucoup affaibli. Il a eu la chance de pouvoir écrire, enseigner, débattre, pratiquement jusqu’à la fin de son existence. Il envisageait même un nouveau débat sur un livre récent, alors qu’il semblait aller mieux. Bel exemple de vitalité intellectuelle ! Ses funérailles ont été célébrées trois jours plus tard au Castello Nuovo, appelé aussi Maschio Angioino, dans la bibliothèque de l’Istituto italiano per gli studi storici qu’il avait longtemps dirigé. Ce fut un hommage exceptionnel en présence du maire, du président de la région de Campanie et de nombreux Napolitains universitaires ou non, admirateurs de l’œuvre réalisée.
2Avec Giuseppe Galasso a disparu l’une des grandes personnalités intellectuelles italiennes. On retiendra bien sûr un grand parcours universitaire avec un nombre impressionnant de publications, mais il y eut aussi cet intellectuel engagé, défenseur de l’esprit des Lumières, attaché au progrès et à la liberté. Il n’hésitait pas à prendre part au débat politique, il fut longtemps député du petit parti républicain, très attaché à la laïcité, mais il fut aussi le collaborateur de nombreux journaux, en particulier le Corriere della Sera où il rédigea longtemps un éditorial hebdomadaire. S’il se sentait profondément napolitain, s’il a toujours défendu « l’honneur » du Mezzogiorno, il n’était pas un nostalgique du royaume de Naples, il était profondément italien et surtout profondément attaché à la république italienne, même s’il s’inquiétait des récentes dérives populistes. On trouvait chez Giuseppe Galasso un optimisme fondamental, une joie de vivre et un grand sens de l’accueil. Il aimait les débats d’idées et appréciait d’être lu et invité à l’étranger. Méfiant devant la mondialisation, il restait fondamentalement attaché à un humanisme européen.
3Il était né le 19 novembre 1929 au cœur de Naples, d’un père modeste artisan vitrier. Il perdit sa mère à l’age de onze ans et connut des années de guerre extrêmement difficiles en exerçant des petits métiers pour aider sa famille. Ainsi se sont forgés cette énergie indomptable et un profond attachement à ce peuple napolitain dont il aimait parler le dialecte. Au lendemain de la guerre, il obtint le diplôme pédagogique pour l’enseignement primaire, puis termina sa scolarité au prestigieux lycée classique Umberto. Il muliplia les lectures et grâce à une grande mémoire, il se révéla excellent élève en Lettres classiques, en histoire et en langues vivantes. Il parlait un français parfait, mais il connaissait très bien aussi l’espagnol. Il poursuivit cette démarche encyclopédique au début des années 1950 à l’université Frédéric II de Naples, en étudiant à la fois les Lettres classiques et l’histoire.
4Sa carrière de chercheur débuta vraiment quand il obtint une bourse, en 1956, à l’Istituto italiano per gli studi Storici de Naples, dont il devint rapidement le secrétaire. C’est là qu’il découvrit l’œuvre de Benedetto Croce qui allait le marquer profondément. Toute sa vie, il resta influencé par ce courant historiciste qui accorde une grande place aux forces de l’esprit. Mais son anthropologie historique ne se limite pas à l’héritage de Croce. Il fut aussi influencé par l’École des Annales, comme en témoigne sa correspondance avec Fernand Braudel. En fait, toute sa vie il se livra à une réflexion continue sur l'histoire.
5À partir de 1963, il devient enseignant statutaire à l’université. On le retrouve à Salerne, à Cagliari et enfin à Naples où il obtient une chaire d’histoire médiévale et moderne. Il fut sans doute le seul professeur titulaire d’une chaire recouvrant les deux périodes. Il devint le doyen de la faculté des Lettres de 1972 à 1979 puis, à partir de 1980, il assuma la charge de président de la Sociéta Napoletana di Storia Patria. Ses premiers travaux portent sur la Calabre à l'époque aragonaise.
6Dans les années 1983-1994, il acquit une notoriété nationale comme député durant trois législatures. Les premières années de ce mandat public furent incontestablement les plus fécondes puisque, sous-secrétaire au patrimoine et à l’environnement, il fit voter la premiere législation sur l’environnement en Italie, en particulier la fameuse loi Galasso du 8 août 1985. De 1988 à 1991, il fut sous-secrétaire d’État chargé du Mezzogiorno. S’il abandonna ensuite la députation, il continua à s’occuper des affaires publiques en restant, entre 1970 et 1993, conseiller municipal de Naples, adjoint à l’instruction publique.
7Dans les années 1990, Giuseppe Galasso se consacra à la direction de la monumentale histoire de l’Italie publiée par l’UTET. Plus d’une trentaine de volumes sont dédiés au Moyen Âge et il écrivit personnellement le volume XV sur le royaume de Naples. Mais en même temps, il aborda un plus large horizon et rédigea une histoire de l’Europe en trois volumes publiée chez Laterza.
8Cette intense activité d’écriture qui lui interdit de prendre de vraies vacances s’accompagna aussi d’une présence dans différents colloques et de la participation régulière à des associations. Pendant quarante ans, il fut ainsi membre de l’Academia dei Lincei à Rome, la société savante la plus prestigieuse de la péninsule ; et de la non moins célèbre Academia Pontaniana. Il participa régulièrement aux sessions de l'École supérieure d'études historiques de Saint-Marin et assuma la présidence de la biennale de Venise de 1982 à 1988.
9Célèbre en Italie, Giuseppe Galasso resta longtemps peu connu en France, et pour une raison simple : les études sur la domination angevine des XIIIe et XIVe restèrent complètement négligées dans l'Hexagone pendant près d’un demi-siècle. C'est seulement en 1995 que fut oragnisé, sous l'impulsion d'André Vauchez, directeur de l’École française de Rome, le premier colloque international sur l'État angevin. Giuseppe Galasso devait se montrer particulièrment actif dans cette renaissance des études angevines dans l'historiographie française. Il accepta de venir en 1998 au colloque d’Angers sur la noblesse dans les territoires angevins et fut membre d'honneur de l'association Mémoire des princes angevins. Deux moments forts dans cette collaboration de plus de vingt ans : la remise du doctorat honoris causa de l'université d'Aix-Marseille en octobre 2011 et, en 2013, la publication aux Presses Universitaires de Rennes du recueil des principaux articles de Giuseppe Galasso sur Naples, sous le titre : Naples médiévale. Du duché au Royaume. Deux hommages français à ce grand historien européen, amplement mérités.