> Résumés de thèses

François Otchakovsky-Laurens,

S'assembler, tenir conseil, enregistrer. La construction de l’autorité municipale à Marseille à la faveur des crises du XIVe siècle (1348-1385)
Résumé de la thèse de l’auteur soutenue le 29 novembre 2014

Notes de la rédaction go_to_top

Sous la direction de Laure Verdon

Texte intégral go_to_top

1La ville de Marseille, qui compte au XIVe siècle près de 20 000 habitants tout au plus, est richement dotée en documentation émanant de l’autorité municipale. Les vingt registres de délibérations conservés, tenus régulièrement entre 1318 et 1385, ont depuis longtemps alimenté l’historiographie provençale et angevine1. La thèse ici résumée s’est fixée pour objectif d’y retrouver les modalités de la vie politique marseillaise et les enjeux qui se nouent autour de l’assemblée délibérante. Il s’est agi de retracer comment, parmi les habitants de Marseille, un groupe d’hommes prétendant au gouvernement des affaires communes parvient à s’instituer au sein de l’architecture des pouvoirs établis sur la ville et sur le comté de Provence, et au-delà, sur les territoires angevins. Pour décrire les relations que les membres du conseil entretiennent entre eux et avec la population administrée et afin d’appréhender la construction des espaces du politique dans la ville, la question du gouvernement est envisagée au travers des pratiques observables de l’assemblée, dans leur évolution. Le cœur de l’étude porte sur la seconde moitié du XIVe siècle, où sont installés tous les éléments d’une situation de crise généralisée, qui donne son unité à la période, tout en révélant et en cristallisant les jeux de pouvoir marseillais.

Partie I : Saisir la source – La fabrique de l’archive

2Les travaux d’historiens centrés sur Marseille au XIVe siècle n’ont jusqu’ici pas pris spécifiquement en compte la documentation écrite municipale, comme procédant d’un même système d’ensemble institutionnel. Ce type de préoccupations correspond aux renouvellements actuels de l’historiographie, notamment sur la question du statut du document d’histoire2.

3Plusieurs études récentes développent l’idée d’une « portée symbolique » des registres de délibérations, celle d’une volonté des gouvernants urbains de s’y représenter3. Mais la richesse des fonds marseillais permet d’ajouter une dimension comparative, en exploitant le reste de la production documentaire municipale, pour discerner sa logique d’ensemble. Cette démarche permet de limiter autant que possible les effets de source, ainsi que de confronter notre document principal aux événements, au droit en vigueur et aux forces en présence dans et hors la ville.

4La production scientifique récente en Italie, depuis la brèche ouverte par Paolo Cammarosano, met en valeur le rôle politique du gouvernement par l’écrit4. Ainsi s’édifie un système documentaire du pouvoir par le registre. Le caractère vivant de la documentation est à mettre en relation avec le maintien d’une réelle capacité de prise de décision collective au sein de l’assemblée5. L’accès avéré du groupe des conseillers marseillais aux registres, qui en tirent notamment des instruments publics notariés, a une valeur politique, celle du partage de l’autorité scripturaire. Au reste de la population, celle-ci s’impose par voie d’ordonnances, qui leur sont éventuellement criées.

5La dimension de sacralité du registre, sous la forme solennelle d’un livre (codex) qui affermit l’assise du gouvernement, se vérifie en bonne partie à Marseille, si l’on tient compte des annotations et corrections somme toute assez rares, du respect apparent de l’intégrité visuelle du document, dans l’ensemble soigné et fort lisible. On peut toutefois observer plusieurs indices discrets, mais réels, d’une utilisation plus fréquente, d’additions, d’ajouts de documents, ou de retraits, ainsi que la conservation par cahiers consultables aisément en cours de réunion de l’assemblée, au moins tout au long d’un mandat municipal annuel ; tout cela donne à ce document le caractère d’un outil de référence, garantissant non tant une image qu’une cohérence du gouvernement. De plus, la forme « livre » est loin d’être avérée à l’époque médiévale, comme le démontre l’analyse codicologique – son apparence consultable pour les notaires et les conseillers qui les entourent est celle de cahiers de travail, le rôle symbolique d’autorité du livre ne jouant qu’à la marge.

6Ce qui pouvait à première vue sembler autant d’imperfections et de caractères insatisfaisants des sources – les ajouts et insertions de séances ou délibérations, sous forme de brouillon par exemple –, ne peuvent en effet être interprétés comme des anomalies, mais plutôt comme les preuves d’un processus de validation, d’un contrôle du contenu des registres par les rédacteurs, et en dernière analyse par l’institution de laquelle émanent les registres. Les modifications et l’intégration d’éléments extérieurs dans les enregistrements permettent une meilleure compréhension et utilisation du document, ainsi que l’adaptation aux nécessités apparues par la suite. On assiste là à un dialogue des pièces enregistrées entre elles, dialogue qui est celui d’un gouvernement de la ville en cours d’élaboration.

7Des délibérations et des séances entières sont biffées, mais ont été conservées sous forme de brouillons. Le choix est fait de privilégier ce qui mérite de durer, pour servir à l’administration de la ville. On touche ici à un autre aspect du gouvernement de la ville, la fonction de prévision.

8La normalisation que subissent les registres marseillais correspond à une façon d’administrer dont la fiabilité passe par la mise à l’écrit. Les rapports préalables, les brouillons, les passages laissés en blanc, les biffures, les omissions ou ajouts sont autant de signes du travail en amont et en aval de la séance de l’assemblée. Ils attestent non une faiblesse, mais plutôt une certaine précision : on ne consigne que l’exactitude, ou l’utile au gouvernement. L’enregistrement et ses choix relèvent donc eux aussi du processus de décision, de pouvoir.

9De la mise en forme des séances, on arrive ainsi à leur mise en conformité. De la structuration d’un pouvoir par l’écrit, dans un processus réciproque, on aboutit au contrôle a posteriori de l’assemblée, de l’institution municipale, sur son image et sur son patrimoine scripturaire.

10Le registre remplit plusieurs fonctions. Il est la mémoire des décisions prises par l’assemblée – on s’y réfère pour garantir la cohérence de la politique menée par le conseil. Le registre conserve par ailleurs les pièces nécessaires au processus délibérant, telles que les lettres reçues ainsi que certains documents préparatoires, à titre justificatif. D’autre part, les registres peuvent être utilisés à plus ou moins court terme de façon probatoire, sur un plan juridique : si aucune protestation n’a été émise et dûment instrumentée par un acte notarié, une délibération peut engager tous les membres du conseil, en particulier dans les rares cas où la liste des présents est dressée. Enfin, le déroulement oral des débats est partiellement transcrit, validé par l’authentification et le témoignage des notaires et du crieur ; le cas échéant et à la demande des conseillers, la validation est redoublée par des instruments publics rédigés en séance et dûment mentionnés dans le registre.

11Les registres sont un outil de référence qui reste en cours d’élaboration, au contenu vivant, non entièrement fini. Conseillers et notaires reviennent au registre, qui demeure un instrument évolutif d’administration. À ce titre, les registres sont bien un miroir des enjeux du gouvernement de la ville, qui se nouent autour de l’assemblée.

Partie II : Marseille et sa situation, au cœur de la crise

12La seconde partie du mémoire entreprend tout d’abord de comprendre les situations de crise politique à Marseille au miroir des registres de délibérations, en particulier les guerres des sénéchaux de Provence (1348-1352) et la question de la mort et de la succession de la reine Jeanne Iere dans les années 1380. Puis l’espace spécifique du conseil de ville est examiné dans la ville, pour élargir ensuite la perspective sur le positionnement de Marseille vis-à-vis de la cour comtale de Provence ainsi que de la couronne napolitaine. Enfin l’étude se penche spécifiquement sur la question de l’information, de la communication et des réseaux de l’assemblée urbaine.

13L’ensemble confirme le caractère durable et installé d’un marasme généralisé, qui se développe à Marseille sur des fondements lentement détériorés au cours du premier XIVe siècle. Mais le basculement, à partir de l’année 1348, dans une phase politique de la crise, émaillée de périodes récurrentes de périls militaires, d’exactions fiscales et de saisies marchandes dans l’environnement géographique marseillais, aboutit à une situation où difficultés structurelles et conflits de pouvoir conjoncturels semblent inextricablement mêlés. À cet égard, la rapidité avec laquelle se nouent à nouveau lors de la guerre de l’Union d’Aix, les mêmes types d’alliances et de conflits bloqués que durant les guerres des sénéchaux trois décennies plus tôt, montre qu’aucune des causes profondes du premier conflit n’avait trouvé de résolution durable.

14Un trait distinctif dans ce contexte critique multiforme est l’incertitude hiérarchique qui s’installe en Provence, où d’abord l’identité du sénéchal, puis celle du souverain lui-même sont objet de litige lors des deux phases les plus aiguës de la crise – les années 1348-1352 puis 1382-1387. Le conseil de ville doit trouver les moyens d’y faire face seul, sans que les autorités de tutelle ne puissent lui être d’aucune aide. Mais cette obligation de pallier les conséquences de la crise est aussi une opportunité politique pour l’assemblée consulaire. Le trouble hiérarchique, sur le long terme, lui donne l’occasion de développer une politique propre et de se saisir des contextes agités pour faire valoir ses intérêts. Cet opportunisme de temps de crise mène le conseil de Marseille à réévaluer sa position dans l’architecture des pouvoirs sur la ville.

15Il s’agit tout d’abord, profitant de la faiblesse de la reine Jeanne, de mettre un terme définitif à la division de la ville par l’acte du 3 janvier 1348. Puis le conseil consolide la réunification par une politique cultivant de façon systématique l’union de la population autour des lieux, des rituels et des valeurs d’un civisme municipal largement hérité de la commune des premières décennies du XIIIe siècle. Surtout, vis-à-vis des autorités de tutelle et de leurs représentants locaux, les officiers royaux, l’assemblée entreprend de reconquérir des marges d’autonomie de gouvernement. Il ne s’agit pas pour autant d’un rejet de toute souveraineté royale. Le conseil entend en effet entretenir avec la couronne napolitaine une relation privilégiée, si possible sans l’intermédiaire de la cour d’Aix et de ses hommes. C’est le sens que l’on peut donner au statut de « terre adjacente » revendiqué par les Marseillais, une construction juridico-politique de consistance relativement indéterminée. Au XIVe siècle ce terme générique, plutôt qu’une norme précise qui nulle part n’est énoncée, recouvre une relation de fidélité et de dialogue privilégié avec la couronne napolitaine, et une réticence à se soumettre à la tutelle de la cour comtale siégeant à Aix.

16Mais dans la ville elle-même, les membres du conseil détiennent de plus en plus le gouvernement des hommes et l’administration des choses. L’information et la communication entretenues en direction de la population permettent d’élargir l’assemblée à l’ensemble de la communauté et de lui faire partager les objectifs construits en séance par les délibérations. Les réseaux de correspondance, par ambassades et par lettres, établis avec l’extérieur permettent de jouer sur les temporalités, de retarder ou de refuser certaines nouvelles, de diffuser une propagande en direction de la population. Le conseil de ville s’affirme par son rapport à la communication – validation, rétention, émission de lettres et de nouvelles. De cette façon il obtient des latitudes nouvelles d’action et construit en droit, au sein de l’assemblée municipale, son espace institutionnel et politique. En dialoguant et en se mesurant à d’autres pouvoirs, l’universitas6 affirme sa position dans l’espace provençal et angevin.

17Enfin, les constructions mentales identitaires sont fort prégnantes dans la question du statut adjacent, comme dans la mise en œuvre de l’unification de la ville. En reprenant la définition que les géographes donnent de la ville, en fonction de « l’espace vécu », cette dernière est le lieu de la « coprésence »7. Si le rassemblement de la population caractérise la ville, l’institution d’une assemblée municipale en est le concentré politique. Elle est le lieu de la réunion des hommes, celui de leur parole, autour duquel convergent et se diffusent les informations. Elle est le siège du conseil (consilium) qui produit les conseils (consilia), les délibérations, autant d’acteurs et de pratiques examinés dans la partie suivante.

Partie III. Acteurs, pratiques : le fonctionnement de l’assemblée

18L’acte de délibérer, entendu comme l’ensemble des pratiques des participants aux assemblées, est plus complexe que le laconisme des sources ne pourrait le laisser supposer. Les séries délibératives, par un effet de leur abondance, se révèlent d’une grande valeur pour dégager des données précises, et au-delà, une compréhension renouvelée de la vie politique urbaine, au plus près de son fonctionnement quotidien et des acteurs qui y participent.

19L’assemblée marseillaise forme un corps capable de s’élargir en nombre (en intégrant ou associant jusqu’à plus de 300 habitants pour un mandat annuel, soit bien au-delà du nombre précis de 83 statutairement requis) comme de gagner en responsabilités politiques, en fonction de choix concertés au sein du cercle le plus resserré et actif qui le dirige –  quelques dizaines d’hommes tout au plus, par exemple 18 membres dirigeants identifiés pour les années agitées 1348-1352.

20De la sorte, par les procédures et techniques propres à ces réunions du conseil, le groupe des membres les plus éminents construit la représentativité du conseil vis-à-vis de la population marseillaise dans son ensemble, et acquiert pour lui-même une part croissante du gouvernement de la ville, au détriment de la tutelle comtale mise en place un siècle plus tôt. Se réunir pour tenir conseil prend ainsi tout son sens dans l’articulation des pouvoirs urbains, et au-delà, à l’échelon supérieur de la souveraineté angevine.

21L’assemblée et les contextes critiques qu’elle doit affronter sont les vecteurs de la constitution d’une société politique dans laquelle, à des degrés divers, modulés en fonction notamment de la puissance sociale et économique, mais aussi de choix personnels, des cercles assez larges d’individus parviennent à former un tout cohérent. La participation aux échanges délibératifs, la mise en application des décisions, et l’investissement des conseillers, notamment sur le plan financier par le biais de la fiscalité et de l’emprunt, sont les facteurs constitutifs de cette société politique marseillaise. Ce faisant, les membres du conseil construisent un espace public, un espace du politique8.

Partie IV. Droit et légitimité de l’assemblée

22L’examen des statuts permet d’en mesurer l’importance sur la longue durée. Ceux-ci continuent d’être une référence normative majeure plus d’un siècle après leur fixation par la dynastie angevine. En témoigne le déroulement des rituels de serments, qui sont prêtés sur le Livre ornementé qui contient ces statuts9. Cependant l’étude de la composition et de la logique documentaire des volumes statutaires qui nous sont parvenus indique leur caractère profondément évolutif, amendable, et le fait qu’ils ne peuvent se comprendre que par la confrontation à d’autres types de textes normatifs, qui parfois s’y insèrent.

23Le droit qui régit la municipalité marseillaise est en effet un outil malléable, au contenu non figé, relevant largement des conditions de sa pratique. Les statuts eux-mêmes sont le lieu des jeux de pouvoir, de plus en plus dominés par le conseil de ville – l’assemblée appréciant elle-même la façon de les lire ou de les interpréter. Les conseillers peuvent ainsi se revendiquer tantôt de l’« esprit » des textes, ou au contraire réclamer leur application stricte, ad litteram absque interpretatione. De ce qui pourrait paraître une géométrie bien variable, ressort en fait l’autorité de l’assemblée, instance qui dit le droit, le modèle et détermine l’usage qui doit en être fait.

24Cette maîtrise du droit par l’assemblée s’incarne notamment en la personne des statutarii, ces délégués permanents à l’élaboration, à la correction et à la vérification des statuts. Définis depuis 1293 par un chapitre de ceux-ci, ils se réunissent chaque semaine, une régularité proche de celle du conseil. Leur rôle, proche d’une « expertise constitutionnelle » dirions-nous aujourd’hui, est à la fois de préparer les séances et de servir de vérificateurs en conformité diligentés par l’assemblée. Eux qui apparaissent d’abord discrètement dans l’activité du conseil voient leur rôle s’affirmer, parallèlement à la capacité de l’assemblée de maîtriser l’élaboration de ses normes statutaires10.

25Cependant, la dialectique opposant la tutelle des officiers royaux et la volonté marseillaise de faire valoir son jus statuendi ne s’exprime que très rarement par des affrontements ouverts – ou du moins enregistrés. On constate le caractère évolutif des statuts par la continuité de leur écriture au fil des décennies. L’existence des statutarii est connue, mais le détail de leur activité et les tenants et aboutissants de ces évolutions nous restent largement obscurs. Pour les appréhender, il faut explorer d’autres terrains, ceux des pratiques quotidiennes, microscopiques et « microsociales » dont parle Foucault11. Celles-ci font toute l’habileté marseillaise, qui consiste à subvertir les règles et la tutelle hiérarchique initialement instituées, en ne s’y affrontant que rarement.

26Le processus de juridicisation, caractéristique du pouvoir royal à la fin du Moyen Âge, se retrouve ainsi à l’échelon de la ville, autour de l’assemblée municipale. Un de ses effets mesurables est le développement de strates de pouvoir internes à l’assemblée et la recomposition de l’équilibre hiérarchique en son sein. Le viguier et les six probes hommes électeurs12 voient leur rôle s’effacer, le processus de délégation par élection leur échappant de plus en plus. Les syndics, dont l’effectif augmente en 1348 en passant de deux à trois, prennent de plus en plus d’importance et s’adjoignent la même année une commission de la guerre, de douze puis six membres, qui tend à devenir permanente.

27Le fait de s’assembler, de délibérer, était, autour de 1257, une concession minimale faite par Charles Ier d’Anjou, et mise par lui sous le contrôle des officiers royaux, que rien n’obligeait statutairement à suivre le consilium de l’assemblée. Mais un siècle plus tard, dans le processus de prise de décision, dans les rituels de serment, s’est instaurée une capacité à remettre en cause l’autorité supérieure, dans un rapport de négociation.

28Pour gagner cette capacité à se gouverner de plus en plus elle-même, c’est aux instruments du droit que l’assemblée recourt. La protestatio est l’exemple même d’un outil original élaboré et manié par l’assemblée : s’exerçant contre la tutelle et de façon préventive, instrumentée par un écrit notarié, elle peut ensuite s’appliquer de façon rétroactive pour révoquer ou ne plus reconnaître un officier se conduisant contre les libertés marseillaises13. La capacité de l’assemblée à se saisir des situations de crise se mesure aussi sur ce plan juridique, qui lui sert d’appui pour affirmer son autorité et effacer de plus en plus les représentants de la tutelle comtale.

29La puissance institutionnelle du conseil de Marseille prend la forme d’un écritoire, d’un registre ou d’un calame, tant l’activité scripturaire et la circulation administrative qui en découle sont caractéristiques de l’usage municipal du droit qui s’instaure autour de l’assemblée. Une pratique juridico-politique partagée par les conseillers porteurs et lecteurs de cédules, par les participants aux réunions qui font la demande d’instruments publics, par les auditeurs des criées, par les spectateurs des séances du conseil.

30Un des sens de l'assemblée marseillaise, à l'examiner pour elle-même et par ses pratiques, est donc de produire du droit. De cette manière, elle s’institue, fonde sa légitimité et se replace dans le jeu des pouvoirs sur la ville, qu’au gré des crises elle parvient à dominer, en meilleure protectrice du bien commun des habitants et comme meilleure représentante de l’autorité souveraine.

Notes go_to_top

1 Archives municipales de Marseille (désormais AMM), BB11-30 (1318-1385), soit 3353 feuillets correspondant à 24 mandats municipaux annuels conservés de façon continue ; les années manquantes correspondent à des pertes ou destructions de registres.

2 É. Anheim, O. Poncet, « Fabrique des archives, fabrique de l’histoire », Revue de synthèse, 5ème série, année 2004, p. 1-14. P. Chastang, La ville, le gouvernement et l'écrit à Montpellier (XIIIe-XIVe siècle). Essai d'histoire sociale, Paris, Publications de la Sorbonne, 2013 ; P. Beck, Archéologie d’un document d’archives, approche codicologique et diplomatique des cherches de feux bourguignonnes (1285-1543), Paris, E.N.C., 2006, particulièrement p. 7-17.

3 Ce thème est développé notamment par L. Gaudreault, Pouvoir, mémoire et identité : Le premier registre de délibérations communales de Brignoles (1387-1391), Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2014, et au-delà de la Provence par C. Fargeix, Les élites lyonnaises du XVe siècle au miroir de leur langage. Pratiques et représentations culturelles des conseillers de Lyon, d’après les registres de délibérations consulaires, Paris, de Boccard, 2007.

4 P. Cammarosano, Italia medievale, struttura e geografia delle fonti scritte, Rome, 1992, 5e réimpr. 1998, et sa recension par J.-Cl. Maire Vigueur, « Révolution documentaire et révolution scripturaire : le cas de l’Italie médiévale », Bibliothèque de l’École des Chartes, 153, 1995, p. 177-185.

5 À propos des registres d’estime à Pavie et Chieri, R. Rao., « Modalités d’enregistrement des informations dans les plus anciens estimi de l’Italie nord-occidentale du Duecento (Chieri et Pavie) », dans A. Mailloux et L. Verdon (dir.), L’Enquête en questions, des usages politiques de la procédure inquisitoire (XIIIe-XIXe siècle), Paris, C.N.R.S., 2014, p. 206-221. L. Tanzini, « Delibere e verbali. Per una storia documentaria dei consigli nell’Italia comunale », Reti Medievali Rivista, 14, 1 (2013), p. 43-79, quant à lui, traite plus précisément de l’enregistrement des délibérations, dans une perspective proche.

6 Par universitas, on entend une personnalité juridique collective, ici représentée par la municipalité marseillaise. P. Michaud-Quantin, Universitas, Expressions du mouvement communautaire dans le Moyen Âge latin, Paris, Vrin, 1970.

7 M. Lévy et J. Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Paris, Belin, 2003, p. 988-992.

8 Tel que le caractérise V. Azoulay, « L'Espace public et la cité grecque : d'un malentendu structurel à une clarification conceptuelle », dans P. Boucheron et N. Offenstadt (dir.), L’Espace public au Moyen Âge, Paris, P.U.F., 2011, p. 63-76.

9 Un exemplaire de ce Liber Statutorum juratoire, le « Livre rouge », est conservé aux AMM, sous la cote AA2.

10 C’est ainsi qu’en août 1350, le viguier doit intégrer à son serment d’entrée en fonction le droit du conseil ou de sa major pars de l'obliger à réunir un parlement général pour modifier les Statuts. AMM, BB21 fol. 20v, séance du 20 août.

11 M. Foucault, Le pouvoir psychiatrique. Cours au Collège de France, 1973-1974, Paris EHESS/Gallimard/Le Seuil, 2003, p. 16.

12 Les sex probi homines sont des Marseillais désignés annuellement par l’officier royal pour le conseiller dans le choix des membres de l’assemblée et de leurs attributions.

13 Les cas de trois sous-viguiers destitués entre 1348 et 1350 montrent la réalité de la menace que ce type de « protestation » fait peser sur eux.



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François Otchakovsky-Laurens, « S'assembler, tenir conseil, enregistrer. La construction de l’autorité municipale à Marseille à la faveur des crises du XIVe siècle (1348-1385) », Mémoire des princes angevins 2013-2017, 10  | mis en ligne le 29/11/2017  | consulté le 24/04/2024  | URL : https://mpa.univ-st-etienne.fr:443/index.php?id=315.